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Le grand manège

20 Novembre 2014 , Rédigé par eosadhoagdjo Publié dans #Conte

Le grand manège

Le maigre paternel et l'innocent enfant,
Traversant de front l'atmosphère pluvieuse,
Dans l’irréel parc au manège triomphant,
Jouissent tendrement de cette journée joyeuse.

Ce radieux jeu d'enfant ravit les prunelles :
Des chevaux solennels contraints aux mouvements ;
Une auto princière aux rondes sempiternelles ;
Une sorcière forcée aux balancements.

Rester sur le banc bien sage, il est convenu,
Le temps que le père vienne cadeau en main,
Parce que demain nous fêtons sa bienvenue,
Dans ce bel univers parfois tant inhumain.

Dans le carrousel se dresse un obscur donjon,
Auquel une ténébreuse chambre culmine.
La fenêtre aux barreaux empêchant le plongeon,
Cache une ombre confinée comme une vermine.

Une étoile surgit dans l'azur firmament,
Et toujours point du père passant l'horizon.
La cruelle nouvelle tombe violemment :
Le ciel ou l'enfer est sa nouvelle prison.

Il ramène les cuisses contre sa poitrine,
Il pose sa tête sur ses genoux tremblants,
Des perles salées ruissellent sous sa narine,
Les sombres jours suivants s’annonçant accablants.

Les aubes se suivent, le sentiment se voile,
Les nuits blanches peinent, l'abdomen se pétrit,
Les demains s’enchaînent, l'abandon se dévoile,
Le présent ne cesse, le mal-être meurtrit.

Hypnotisé aux rotations du manège,
L'enfant réprime sa douleur en ne pensant.
Tournoyant dans le ciel, un pégase blanc neige
Est scellé au jeu par un grand bâton dansant.

Il est chevauché d'un être orné d'une cape,
À la chevelure étincelante et dorée,
De longues mèches provoquant le handicap
De ne pas charger d'une manière ignorée.

Le jeune orphelin choisit enfin d'embarquer.
Il passe sous un portail paré d'une planche,
Sur laquelle de drôles dessins sont marqués.
C'est alors qu'un dernier voyage se déclenche.

Après avoir pratiqué les différents sièges,
De les réparer, de les choyer, il s'est épris.
Sans s'en apercevoir, l'enfant est pris au piège :
Cela fait tant de bien de s'occuper l'esprit.

Il se lie à la vielle au nez aquilin,
Il veille à protéger sa repoussante image,
Mais parfois, elle fait un tel mal sibyllin,
Qu'il grimpe dans la tour et s'enfuit du dommage.

Il apprécie le calme de cette oubliette,
En compagnie de ce forçat brun aux longs cils,
Qui semble pourtant mener une vie quiète,
À guetter la beauté du cheval qui oscille.

Le petit garçon se sent d'un coup épié.
Par l'embrasure il aperçoit une colombe,
Une blonde cachée par un tulipier.
Elle semble appeler le jeune mâle palombe.

Il descend à vive allure le colimaçon,
Afin d'être au plus près de ses yeux bleus splendides,
Mais la fillette a disparu tel un glaçon.
A-t-il été trompé par ses pensées candides ?

Les semaines passent sans aucune nouvelle,
Il vaque à ses protectrices occupations,
Il pense à tourner constamment les manivelles,
Tout en songeant à sa fraîche et douce passion.

Parfois, il se pose face au cheval ailé,
Causant une pause méritée dans ses taches.
Le destrier a un beau manteau ocellé.
Il ferme les yeux et rêve qu'il se détache.

Sa cavalière voltige vers la sorcière,
Celle-ci est désarmée par un yatagan,
Puis en repoussant ses encombrantes œillères,
Il fuse vers le captif tel un ouragan.

Il adore ce joli rêve féerique.
La fille et l’héroïne ont des homologies
Très bouleversantes, voire fantasmagoriques.
Qu'il est bon de la regarder du clos logis !

Une après-midi, il restaure le carrosse,
Une brise légère relève son corps,
Et sa vision lui fait alors perdre sa brosse :
Elle se tient là tout proche du garde-corps.

L'émotion ne peut être dissimulée,
Pourtant il trouve le courage d'une approche,
Et lui demande s'il était bien l’appelé.
Elle acquiesce mais si tôt se le reproche.

Elle lui propose sa main pour qu'il descende.
Dans sa chair, une décharge électrique s'étend.
Mon fils ! Méfie-toi de l'ange et de sa demande.
Sa main rêche adoucit ce doute inquiétant.

« — Où désires-tu que nous allions dans ce monde ?
—Laissons-nous voleter par l'esprit, par le vent,
Laissons-nous ricocher sur l'allée, sur les ondes,
Laissons-nous nous guider par le soleil levan
t.

Regarde ! La forêt semble nous appeler,
Allons-y ! Nous verrons bien si cela nous mène
Vers des œuvres de la nature à déceler.
—Je te suis réjoui, effréné phénomèn
e !

Attends-moi s'il te plaît ! Je ramasse des pierres.
Ce sera utile pour trouver mon chemin,
Quand je retournerai soigner ma pouponnière,
À la fin de ce merveilleux après-dema
in.

Quelles règles suivent les pousses de ces branches ?
La jeune et l'ancienne vivent à l’unisson,
Illuminées aux rayons de lumière blanche,
Filtrée par les feuilles et les touffus buisso
ns.

Aucun ordre ne règne dans cet univers,
Et pourtant, avec une danse arachnéenne,
L'oxygène y est si tiède même en hiver,
Qu'il favorise l'oubli de toutes nos hain
es.

Contre ton avant-bras, qu'est ce que tu préserves ?
—Quelle question ! Tu vois bien que c'est un roman !
—Est-ce si précieux qu'ainsi tu le conserves ?
—Oui, pour s'évader et vivre un libre mome
nt.

—Puis-je ? Qu'est ce donc tous ces étranges symboles ?
—Lettres, termes, phrases, qui fondent le récit.
Mais je ne partage, même pour une obole.
—Ta mesquinerie est une gaie facét
ie.

Comment peux-tu être réfractaire à l'échange ?
Les êtres-humains s'en nourrissent de tout temps,
L'amitié et l'amour ne sont que beaux mélanges.
—Je veux bien essayer, mais c'est si dérouta
nt.

—Comment ai-je passé tant d'années sans lecture ?
Je t'en serai infiniment reconnaissant.
T'imagines-tu fuir vers d'autres aventures ?
—Impossible avec de tels sentiments naissant
s !

—Oh ! Mais que font seuls tous ces chevaux polychromes ?
Quels galops maîtrisés ! Quel incroyable amas !
Leur place devrait être dans un hippodrome.
—Les sauvages offrent de tels panoram
as.

—Quel surprenant nuage noir ! Va-t-il pleuvoir ?
—Ce ballet d’étourneaux reste un mystère,
Si dense, le ciel bleu ne peut pas s'entrevoir.
—Quelle harmonie cette valse libertair
e !

—La clarté s'estompe. Souhaites-tu que je rentre ?
—Non, reste près de moi pendant notre sommeil.
—La nuit va être douce si près de ton ventre.
—Ferme tes paupières, belle image au réveil
! »

La pluie tombe, ses yeux s’ouvrent, l'aurore pointe.
Dans le livre laissé, un mot y est glissé.
Par la bruine ou autre, les lettres y sont disjointes.
Il sent dans sa gorge son larynx coulisser.

Seul et perdu, il ne sait où se diriger.
Cette brutale ecmnésie rend les jambes lourdes :
Vivre de nouveau cette douleur affligée ;
Tenir malgré cette amère géhenne sourde.

Retrouver un lieu connu, il le faut d'urgence,
Mais il avait cessé de marquer le sentier.
Il regrette cette naïve négligence ;
Il ne sortira pas de cet enfer forestier.

Après de nombreuses semaines éprouvantes,
Le carrousel paraît telle une illusion.
La sorcière coudoyée y est rassurante.
Un dernier regard sonne la conclusion.

Il rejoint le prisonnier aux mille délits.
Il s'installe près de la brèche désarmante.
Il regarde l'écriteau du portail et lit :
« LE GRAND MANÈGE DE LA PRINCESSE CHARMANTE ».


Eosadhoagdjo - 20 novembre 2014

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